Toubkal : Pourquoi ce n’est pas une montagne qu’on gravit, mais un mythe qu’on apprivoise
Oubliez l’image d’Épinal de l’alpiniste accroché à une paroi verticale avec des piolets. Le Jbel Toubkal, toit de l’Afrique du Nord (4 167 m), n’est pas une montagne technique. C’est un escalier de pierre interminable vers le ciel, une épreuve d’humilité et, surtout, une communion brutale avec le Haut Atlas. On ne vient pas ici pour planter un drapeau, mais pour se trouver soi-même.

Oubliez l’image d’Épinal de l’alpiniste accroché à une paroi verticale avec des piolets. Le Jbel Toubkal, toit de l’Afrique du Nord (4 167 m), n’est pas une montagne technique. C’est un escalier de pierre interminable vers le ciel, une épreuve d’humilité et, surtout, une communion brutale avec le Haut Atlas. On ne vient pas ici pour planter un drapeau, mais pour se trouver soi-même.
Quand on parle du Toubkal, on imagine souvent une expédition de l’extrême. La vérité ? C’est le « 4000 » le plus accessible au monde. Mais attention, « accessible » ne veut pas dire « facile ». C’est là que réside le piège. Ce n’est pas une montagne à gravir au sens technique du terme : c’est une immense marche en haute altitude, un test d’endurance mentale où l’ennemi n’est pas le vide, mais le manque d’oxygène et vos propres cuisses qui hurlent. C’est une montagne qui ne se laisse pas vaincre par la force, mais par la patience.
L’Histoire : Un géant discret
Pendant des siècles, le Toubkal a dominé Marrakech sans vraiment intéresser les cartographes occidentaux, qui pensaient que le point culminant était le Jbel Ayachi. Officiellement, la « première » ascension européenne date de 1923, réalisée par le marquis de Segonzac, Vincent Berger et Hubert Dolbeau. Les Berbers de la vallée d’Imlil, chasseurs de mouflons et bergers, avaient probablement foulé ce sommet des siècles avant eux pour y empiler des cairns (amas de pierres sacrés). Pour les locaux, c’est une terre sainte, un lieu où la terre touche littéralement le ciel (« Toubkal » viendrait du Tamazight signifiant « Terre qui s’élève au-dessus des autres »).
Le Casting : Des mules aux légendes vivantes

C’est toute la magie du Toubkal : c’est le seul endroit au monde où le randonneur du dimanche peut croiser une légende de l’alpinisme en pleine « promenade de santé ». Ici, la montagne est démocratique, mais certains la pratiquent à un autre niveau.
Les Titans de l’Himalaya : Ne soyez pas surpris si une silhouette rapide vous double avec le sourire. Le Toubkal est le jardin secret de Bouchra Baibanou. Première Marocaine à avoir vaincu les « Seven Summits » et l’Everest, elle utilise ce sommet comme un simple entraînement. Même rituel pour Nacer Ibn Abdeljalil, le premier Marocain sur le toit du monde (2013). Pour eux, le Toubkal n’est pas une fin en soi, c’est le pèlerinage obligatoire avant les 8 000 mètres.
La Fusée de l’Atlas : Vous pensez marcher vite ? Oubliez. La légende locale s’appelle Rachid El Morabity. Le roi incontesté du Marathon des Sables a déjà plié l’ascension en courant en un temps record d’environ 2h11. Là où vous mettrez deux jours, lui fait l’aller-retour avant le déjeuner. Il ne marche pas sur les pierres, il vole.
L’Enfant Prodige : Si vous manquez de motivation, pensez à Sami Tazi. En 2022, ce petit garçon de Mohammedia a atteint le sommet à l’âge de 4 ans, encadré par sa famille. Il est devenu le plus jeune alpiniste marocain à avoir foulé les 4 167 m, prouvant que le mental n’a pas d’âge.
Le Héros discret : Le Toubkal, c’est aussi l’histoire d’hommes comme Omar Ait Ahmad. Ce guide local n’est pas dans les livres de records, mais dans les cœurs : en 2017, il a risqué sa propre vie en pleine tempête pour sauver une touriste suisse emportée par une avalanche. Il incarne à lui seul l’esprit des guides d’Imlil : une résistance hors normes et une solidarité à toute épreuve.
Le Mode d’Emploi : Comment l’apprivoiser (avec style)
Gravir le Toubkal, c’est une chorégraphie en deux temps. Voici comment le faire sans passer pour un amateur.
Étape 1 : L’approche (Imlil – Refuge) Tout commence à Imlil (1 740 m). C’est le village-camp de base. De là, c’est 5 à 6 heures de marche vers les refuges (le Neltner ou Les Mouflons) à 3 207 m.
- Le secret : Ne portez pas votre gros sac. Louez les services d’un muletier. Non seulement vous faites vivre l’économie locale, mais vous profitez du paysage (Sidi Chamarouch, le marabout blanc au milieu des rochers) sans vous casser le dos. Arrivé au refuge : thé à la menthe, spaghetti, dodo.
Étape 2 : L’assaut final (Le mur) Réveil à 3h30 du matin. Lampe frontale vissée sur la tête. C’est là que ça devient sérieux.
- Le terrain : Pas d’escalade, mais un pierrier instable, pentu, interminable.
- Le souffle : Au-dessus de 3 500 m, l’oxygène se fait rare. Chaque pas coûte cher. C’est ici que l’expression « ce n’est pas une montagne à gravir » prend son sens. C’est une lutte intérieure. On avance au rythme lent des guides : « Chouia, Chouia » (doucement, doucement).
Le Sommet (4 167 m) : Arriver au sommet au lever du soleil est une claque visuelle. L’ombre triangulaire du Toubkal se projette sur l’horizon vers l’ouest. Au sud, le désert commence. Au nord, la plaine de Marrakech. Vous n’avez pas « vaincu » la montagne. Elle vous a laissé passer.
Quand Toubkal joue les doublures d’Hollywood
C’est le secret le mieux gardé d’Imlil. Avec ses pics enneigés et ses vallées arides, la région du Toubkal est devenue le décor favori des réalisateurs qui ne peuvent pas (ou ne veulent pas) tourner au Tibet ou en Afghanistan.
- « Sept Ans au Tibet » (1997) : Brad Pitt n’a pas mis les pieds à Lhassa, mais bien dans le Haut Atlas. La production a transformé la Kasbah du Toubkal (à Imlil) en monastère bouddhiste tibétain pour plusieurs scènes clés. Les figurants locaux ont troqué leurs djellabas pour des robes de moines !
- « Kundun » (1997) : La même année, Martin Scorsese a aussi posé ses caméras ici pour raconter la jeunesse du Dalaï-Lama, utilisant les paysages grandioses de l’Atlas pour mimer le toit du monde.
- Pourquoi ici ? C’est simple : c’est moins cher, plus sûr politiquement que l’Himalaya, et la lumière y est unique. Le Toubkal est un caméléon géant capable d’incarner toutes les montagnes du monde.
